Origines du Budo

A l’aube de l’humanité

La lutte pour la vie est la base de la persistance de l’espèce. Les animaux qui, à l’origine du Monde, peuplèrent notre globe, durent combattre contre les agressions extérieures mais lutter aussi à l’intérieur même de leur clan pour survivre, procréer, perdurer. Les atouts des survivants étaient la force, parfois l’astuce ou la ruse, quelquefois les protections dont la nature les avait pourvus. C’était l’instinct de conservation ou de prédominance qui guidait leurs actions.

Par un phénomène de mutation génétique extraordinaire, l’homme fit son apparition et développa son intelligence créatrice. C’est grâce à l’outil, l’arme, le feu, et l’intelligence qu’il put d’abord lutter contre toutes les menaces de la nature, qu’il parvint ensuite à assurer sa subsistance mais aussi, hélas, qu’il affronta ses semblables. Ainsi naquit, avec l’humanité, la pratique du combat tant à mains nues qu’avec armes puis, plus tard, la guerre et la stratégie.

A l’aurore de la notion d’aïki

L’histoire n’est pas une science exacte. Elle est sujette à interprétations, extrapolations, de telle sorte que les légendes et représentations symboliques et subjectives se mêlent aux faits.

Il en est ainsi de l’histoire des arts martiaux et, a fortiori, de l’Aïkibudo, qui puise sa source dans la genèse nipponne.

Ainsi trouve-t-on dans la mythologie japonaise des éléments que certains arts martiaux retiennent comme source historique ou encore comme l’une des premières évocations de la notion d’Aïki. C’est notamment dans le Kojiki,  » Livre des Choses Anciennes « , datant de l’an 712, qu’il est fait mention d’une lutte fabuleuse opposant les dieux célestes Kakémikazushi no kami et Futsunushi no kami (divinités protectrices des temples Kashima et Katori) et Minakata no kami, divinité terrestre. Désireux de rétablir l’ordre sur terre, les dieux célestes, leur avaient ordonné de descendre sur la terre pour demander au Kami gouverneur du Pays-au-Milieu-des-Roseux de céder son pays. Son fils, Kami-Minakata no kami, capable de porter du bout des doigts un rocher que 1000 hommes réunis n’auraient pu transporter, défia alors les dieux en un « Tégoï », sorte de lutte au bras de force, mais à peine avait-il pris la main de Kakémikazushi no kami qu’il la sentit se transformer en bloc de glace et en lame de sabre (et), il recula d’effroi – Saisissant ensuite la main de Futsunushi no kami, il se sentit soulevé violemment et jeté comme un simple fétu de paille. C’est là, d’après la légende du Daïto ryu jujutsu, une manifestation du Ki, de la respiration Aïki et de l’Aïki-In-Yo(I), concept auquel se réfère la culture japonaise et que l’on retrouve également dans l’histoire du Sumo.

Quand histoire et légende se confondent

Le Xe siècle voit se codifier la tradition martiale japonaise, le Bushidô guerrier (Kyu-Ba-no-Michi), la voie de l’Arc et du Cheval. A la même époque, on assiste à la montée en puissance de la petite noblesse guerrière et paysanne au rang de grande Famille,  » Daïmyo « , tels les célèbres clans Taïra et Minamoto.

La légende du Daïto ryu jujutsu s’attribue comme géniteur le célèbre Minamoto Shinra Saburo Yoshimitsu qui fut un grand chef de guerre, poète, musicien et chercheur, connu comme l’un des premiers au Japon à avoir étudié sur le corps des hommes, tués au combat ou peut-être simplement prisonniers, l’effet des coupes, des frappes, des clés articulaires, etc.

Son fils, Yoshikiyo, reçut la charge de Shugo (Gouverneur militaire) de la province de Kaï. Il installa sa résidence dans un village nommé Takéda dont il fit son patronyme et donna naissance à la lignée des Takéda qui resta à la tête du Han(II) de Kaï jusqu’à la mort du plus célèbre de ses descendants, Takéda Harunobu, plus connu sous le nom de Shingen, un des plus grands stratèges du Moyen-Age japonais, immortalisé à l’écran par le film Kagemusha. La légende rapporte que les Takéda se seraient transmis héréditairement les enseignements de Yoshimitsu qu’ils auraient synthétisés sous la forme d’un secret militaire nommé « Takéda no Heiho ».

Takéda Shingen mourut en 1573 des suites d’une blessure par balle d’arquebuse. Son fils prit alors le commandement des troupes et le combat tourna vite au désastre, les vagues successives des cavaliers Takéda étaient abattues par les fantassins arquebusiers d’Oda Nobunaga, de Tokugawa Iyeyasu et de leurs alliés. Il se suicida et le clan cessa ainsi définitivement d’exister.

Les arquebuses, ces armes nouvelles, étaient notamment utilisées par les Ashigaru (fantassins) qui constituaient une caste inférieure et qui se jouaient ainsi des traditions et des compétences guerrières des Samuraï. Ce fut la fin d’une époque glorieuse et l’avènement de la paix intérieure.

Le Kyu-Ba-no-Michi devient le ou Bushidô moderne.

Toutefois, la tradition Takéda n’aurait pas été perdue. En effet, malgré la défaite du clan Takéda et le suicide de son chef, elle aurait survécu par le biais de certains de ses généraux ou de ses guerriers.

La légende rapporte également qu’un membre de la famille Takéda, Takéda Kunitsugu (non confirmé par l’histoire officielle du Japon), se serait réfugié dans le Han d’Aizu, alors sous l’autorité du seigneur Hidetada, le 3e fils du Shogun Tokugawa, dont la mère était née dans la famille Saigo, et y aurait fondé la lignée Takéda d’Aïzu.

Au sein de ce clan, la famille Saigo, principal vassal du Han, aurait conservé et transmis des techniques martiales de la self défense des Daimyo du Han dénommées  » Goshikinai  » ou  » Oshiki Uchi « .

Du Bushidô au Budô

Le XlXe siècle fut une période de bouleversements sociaux encore plus importants que ceux évoqués au cours du XVIe siècle. La réforme Meiji bouscula l’organisation féodale de la société japonaise. Des lignées entières de Samouraï périrent au combat ou en Seppuku (suicide rituel).

Le dernier descendant de la famille Saigo, Saigo Tanomo, transmit en 1898  » l’héritage  » du  » Goshikinaï d’Aïzu à un jeune homme issu du Han d’Aïzu, Takéda Sokaku, qui matérialisa cet  » héritage  » sous le nom de Daito ryu Jujutsu et en fit, grâce à son immense compétence martiale, la renommée dans tout le Japon.

Véritable shugyosha(III), surnommé dans sa jeunesse Ko Tengu d’Aïzu (petit démon d’Aïzu), Takéda Sokaku était un escrimeur redoutable. Il fut également l’élève du célèbre Maître d’Armes Shibuya Toma et un très grand spécialiste de son style d’escrime,  » l’Ono Ha Itto ryu « , qui est actuellement associée à l’enseignement du Daïto ryu moderne.

Takéda Sokaku qui pratiqua (et enseigna) les arts du combat jusqu’à sa mort, à l’âge de 83 ans, en 1943, fut sans nul doute le premier Grand Maître à enseigner un Art Martial (un Budô) au sens contemporain du terme. Son fils Takéda Tokimune lui succèda à la tête du Daïto ryu Aïkijujutsu.

Néanmoins, son disciple le plus connu dans le monde moderne fut le Maître Uéshiba Morihei. C’est grâce à lui que l’on connaît aujourd’hui, dans le monde entier, le nom de Daito ryu Aïkijujutsu, par l’interprétation personnelle qu’il en a faite et qu’il a vulgarisée sous le nom d’Aïkidô.

C’est en 1915 que Uéshiba Morihei, alors âgé de 32 ans, rencontra en Hokkaido(IV) Takéda Sokaku. Celui-ci apprécia beaucoup cet étudiant passionné à qui il accorda, avant qu’il ne quitte l’île, le titre d’assistant. Quelques années plus tard, Ueshiba Morihei créa un dojô de Daïto ryu Aïikijujutsu dans le région de Tokyo. Le Maître Takéda lui délivra le Makimono(V) du Daïto ryu Aïkijujutsu sur lequel figurent les techniques et la mythique généalogie de l’École.

Cependant, le temps passant, Ueshiba Morihei adapta la forme et le style du Daïto ryu selon son intuition, sa sensibilité spirituelle et son originalité. Ne payant plus ses charges de shibucho(VI) au grand Maître Takéda , leurs liens se distendirent jusqu’à la rupture. Dès le début des années 1930, on peut parler de Daïto ryu Aïkijujutsu Ueshiba ryu, constituant de fait une branche dissidente du Daïto ryu Aïkijujutsu fondé par Sokaku.

En 1928, le professeur Kano Jigoro, fondateur du Jujutsu moderne, nommé Judo, confia à quelques-uns de ses jeunes Yudansha(VII) la mission d’étudier la célèbre école de sabre Katori Shintô ryu. De même, il décida, en 1930, de leur faire étudier à Tokyo le Daïto ryu Aïkijujutsu du professeur Uéshiba dont la renommée allait croissant et dont il avait entendu dire le plus grand bien. Ces Yudansha allaient tous devenir, à leur tour, des Maîtres de renom. Ils avaient pour noms Tomiki Kenji, Mochizuki Minoru, Takéda Jiro, Murashigé Aritomo ou encore Sugino Yoshio.

Maître Uéshiba portait beaucoup d’affection à son élève Mochizuki. Ce dernier était devenu, en quelque sorte, le metteur en œuvre des mouvements démontrés par celui-là qui se laissait guider par son intuition.

En 1929, Maître Mochizuki fonda son Dojo, le Yoseikan et dut, à partir dès 1938, assumer de hautes responsabilités nationales en Chine. A la fin de la guerre, il reprit la direction de son Dojo.

En 1948 fut créé la fondation Aikikai destinée à centraliser la pratique de l’Aïkido moderne. C’est le fils de Morihei Ueshiba, Kishomaru, qui fut chargé de l’organisation administrative de cette fondation.