Ura No Kata, n’est pas comme on l’entend souvent, un kata de contre. Maitre Alain floquet s’explique
Maitre, quelles sont les origines de Ura No Kata ?
Ura No Kata figurait dans le programme Aïkido-Jujutsu du Yoseïkan des années 60. Je ne peux pas dire s’il y figurait antérieurement car je n’ai jamais vu Jim Alcheik le pratiquer. C’est Hiroo Mochizuki qui avait introduit en France, en 1963, les premiers éléments de ce Kata qui, au Japon, était plutôt de style Judo. A partir de 1963, c’est ensemble que nous l’avons mis en forme, et c’est cette forme que j’ai préservée dans le programme Aïkibudo.
La forme quelque peu « Judo » de ce Kata était bien dans le style du maître Minoru Mochizuki. Je suppose que son objectif était, lors de sa création, la transmission d’un certain nombre de Kaeshi Wasa, ou tout au moins la transmission de l’idée du Kaeshi Wasa. En tout cas, c’est ainsi que je l’apprécie.
Littéralement, que signifie « ura No Kata », et pourquoi ne pas l’avoir nommé « Kaeshi No Kata » ?
Littéralement, « No Kata » signifie : « Le Kata de… » et ‘ ‘Ura » signifie: « revers ».
Cela ne veut pas dire grand-chose. Peut-être faudrait-il traduire ‘ ‘Ura » par « contraire », comme nous le faisions dans le passé, ou bien encore considérer « revers-Ura » par opposition à « avers-Omote », « face », le Kata des contraires. Ce qui sous-tendrait qu’il y ait toujours deux côtés, qu’une action ait son contraire.
Le nom actuellement employé au Yoseïkan de Shizuoka est « Hyori Ichi Jo No Kata », que je traduirais par « Ura-Omote, une seule et même chose ». Ce nom est, certes, plus complet que celui de « Ura No Kata » mais, cependant, pas plus explicite.
En fait, dans ce Kata, qu’est-ce que l’on pratique et démontre ? Des retournements ou renversements de situations. Il serait donc tout à fait logique de le nommer : « Kaeshi Wasa No Kata ». Mais tout comme la quasi-totalité du programme Aïkibudo, j’ai choisi de préserver le nom d’origine Yoseïkan, à priori par fidélité, reconnaissance et respect pour le Maître Minoru Mochizuki, puis, en second lieu, pour ne pas dérouter les anciens. Mais dans l’avenir, pourquoi pas…
Comment concevez-vous le Kaeshi Waza ?
Pour être précis, je dirais : « suite à la faiblesse de réalisation d’une technique qu’on lui porte, l’exécutant saisit l’opportunité que lui offre la dynamique des mouvements en cours pour renverser la situation, en enchaînant par le mouvement qu’il ressent comme étant le plus approprié à la circonstance ».
Je conçois le Kaeshi Wasa bien plus comme un concept, un principe (voire une méthode), que comme une technique, et, dans l’esprit de ce concept, le Kaeshi Wasa s’applique indifféremment aux deux parties en action, soit en renversement de l’action adverse sur la base de failles techniques (et non en contre), soit en renversement d’une situation d’échec, résultant, par exemple, d’une faute de déplacement, de placement ou de technique, en situation de réussite, par une nouvelle action effectuée dans le cours naturel de la dynamique des actions en cours, sans opposition.
Répétons que, dans l’esprit, il ne doit y avoir, en Kaeshi Wasa, ni opposition, ni blocage ou lutte. Cependant, le Kata, qui s’exécute dans la forme de la distance Chika Ma, doit exprimer la puissance au travers des saisies appliquées ou des techniques effectuées. Il n’y a pas contradiction car si la saisie est puissante, le Kaeshi Wasa est fluide.
Ces deux notions « puissance et fluidité », qui ne sont pas antinomiques, s’alternent tout au long du Kata dans les actions successives des deux partenaires. Chacun d’eux exécute tour à tour une saisie puissante et un dégagement fluide jusqu’à la projection de conclusion, le Kata Nage, qui est le dernier Kaeshi Wasa et le seul mouvement abouti de ce Kata.
Les exécutants doivent exprimer, dans leur présentation du Kata, beaucoup de Kime. Le maintien du Kime favorise celui de la concentration, du Zanshin, la vigilance.
Ce Kata a donc pour objet de fixer un certain nombre de Kaeshi Wasa et, au travers de ces quelques Kaeshi de base, de fixer, de préserver et d’enseigner le concept du Kaeshi ainsi que son principe d’application.
Dans ce Kata sont réunies certaines composantes de la pratique de base Aïkibudo : éducatifs, Te. Hodoki, techniques de premier dan et même Kata Nage du programme de quatrième dan.
J’ajouterai que, en plus de leur rôle de transmission des connaissances anciennes, ces Kata sont de précieux outils pédagogiques pour la pratique ordinaire, car ils mettent en œuvre des techniques courantes associées à des éléments fondamentaux de l’état d’esprit de la pratique martiale. En effet, cette pratique permet de lutter contre le laisser-aller qui résulte des habitudes de pratique en salle où, trop rapidement, le travail se vide d’engagement et perd de son sens martial, la forme de corps se relâche.
Ce Kata fait partie du programme du 4e dan (ndlr : désormais au 2ème dan ), néanmoins, pensez-vous qu’il puisse être enseigné 6 tous les niveaux ? Son enseignement ne doit-il pas être replacé dans la finalité de l’Aikibudo qui est de conserver l’unité et non pas d’amener une rupture dans l’échange, ce qui arrive lorsque l’on cherche « contrer » ?
Dès les débuts, il est enseigné qu’en Aïkibudo il n’y a ni opposition, ni contre, que la technique s’applique de manière systématique sur une attaque initiale et non dans un échange de coups ou dans une lutte d’opposition.
Une attaque = une technique de défense. Logiquement, si l’enseignement est correctement prodigué, dès les premières séances, l’élève est conduit sur le chemin de la canalisation des forces adverses.
D’ ailleurs, l’enseignement des Te Hodoki apportera la première expérience de cette voie où l’élève découvrira que l’opposition de force conduit à l’échec du dégagement.
Il n’y aurait donc pas d’impossibilité pédagogique majeure à enseigner le Kaeshi dans le programme du Ier dan.
Cependant, comme le Kaeshi Wasa est un outil de contrôle sur l’exécution de la technique, donc de maîtrise, il est stratégiquement et pédagogiquement normal, pour éviter qu’il soit détourné de son but, mal exploité, ou cause de confusion, de le réserver à l’usage des pratiquants expérimentés.
Ce Kata peut paraitre haché dans son expression parce qu’il y a des moments précis où l’on s’arrête afin de marquer une contrainte, qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, mais c’est une impression visuelle due à l’image que projette Seme dans la fermeté de sa saisie qui va aller jusqu’au verrouillage. Cependant Nage n’est pas, en cet instant de saisie, physiologiquement à l’arrêt. Les éléments de son corps soumis à la saisie et à la force adverse se placent pour la déviation de celles-ci ; les jambes, les hanches, le Seika Tanden sont également en mouvement et concourent à la déviation.
Soulignons que Seme doit donner cette image de puissance et d’effort. Nage aussi devrait marquer cet instant où il reçoit la force adverse et ressent le contrôle articulaire de la prise.
Le Kata parait scindé en deux parties, est-ce exact ?
II y a effectivement une rupture de contact à un moment donné sur le dégagement de Do Gaeshi, mais ce n’est pas une rupture de Zanshin. S’il y a séparation physique, il y a une continuité mentale du Kata. La remise en œuvre, la reprise de contact se fait par l’intervention d’une autre attaque.
Par ailleurs, dans ce Kata l’énergie est mobilisée, à l’image de la houle marine, dans le corps ; temps forts et temps fluides se succèdent. On y exprime la force, la déviation de cette force, le mouvement de renversement de la force, mais sur le plan du film du déroulement mental du Kata, il n’y a pas d’arrêt.
Est-ce important de le réaliser en ligne ?
Non, il pourrait se faire autrement, mais il est classé dans les Kata en ligne. Dans cette forme, il oblige les partenaires à se repositionner à chaque mouvement de manière stricte et rigoureuse.
propos recueillis par Marie-José Mallet (lettre du CERA n°20 – 1998, semestre 1