Le kendo a toujours été l’occasion d’échanges enrichissants avec Maître Minoru Mochizuki. Quelques années après les championnats de kendo auxquels j’avais participé en 1970 à Tokyo, lors d’un agréable moment de partage en présence du professeur Ishikawa Kazuhide (professeur de français à Shizuoka et ami de Maître Minoru Mochizuki), on parla de compétition, de Budo et de sport.
À cette occasion, le Maître me rapporta que Tokugawa Ieyasu (l’un des administrateurs des Toyotomi) avait invité l’escrimeur Sekishusai Yagyu, du village de Yagyu, à démontrer les secrets de son art devant les généraux et officiers de son clan, ce qu’il accepta et fit avec Mataemon Munenori, son cinquième fils.
Impressionné par la démonstration, Ieyasu décida d’attaquer Sekishusai. Bokken en main, il engagea le combat. Sekishusai s’élança et pénétra vivement dans sa garde. Il le contrôla aisément avec sa main et son coude et le désarma en utilisant le principe essentiel de l’art de l’épée de l’école Yagyu.
Ieyasu et les guerriers présents admirèrent l’action mais s’étonnèrent qu’il n’avait fait que désarmer son adversaire sans conclure par le geste final et symbolique qui représentait la mise à mort, geste accompagné du kiai “Toh”, comme dans les kata. Sekishusai expliqua qu’il était facile d’achever un adversaire d’un coup de sabre, mais que cette mort engendrerait certainement une vengeance, ce qui en amènerait une autre, suscitant un cercle vicieux de violence sans fin. Ces vendettas étaient courantes à cette époque troublée de guerres civiles. Elles étaient la cause principale des souffrances du peuple et notamment des paysans. Escrimeur parvenu à une grande sagesse, Sekishusai était convaincu que si l’on arrivait à vaincre l’ennemi sans le tuer, même en prenant quelques risques, on tenait là un moyen d’établir une base solide pour la paix. Il démontra ainsi le principe essentiel de l’art de l’épée de l’école Yagyu, Muto dori mitsu no kurai. Suite à cet exploit, qui manifestait un grand sens d’humanité, Ieyasu engagea le fils de Sekishusai, Mataemon, au titre de hatamoto (garde officiel d’un seigneur ou d’un shogun). Par la suite, Mataemon devint préfet du département de Yagyu.
Se jeter sur l’adversaire pour vaincre tout en prenant des risques se nomme : sutemi (littéralement : « sacrifice »). C’était là tout son art. C’est également le principe de l’aïki qui est mis en œuvre dans cette action. Lors de l’un de nos échanges épistolaires, Minoru Mochizuki sensei évoqua cet état et m’écrivit : « Lorsque tu surveilles un individu malfaisant qui va commettre une agression, tu interviens immédiatement, sans calcul, le maîtrisant avant que toute chose puisse mal tourner. Cela, professionnellement, tu l’as connu de bonne heure. C’est encore cela l’aïki, le principe de l’aïki. Et l’esprit suprême de l’aïki, c’est irimi. Entrer et décider après « .*
* Alain Floquet, Budo en partage, Budo Ed. 2022