1959 -2009 Un jubilé d’Aikibudo hors norme

A parcours exceptionnel, il fallait un événement exceptionnel. Trois jours ! Trois jours durant lesquels plus de 350 pratiquants d’Alkibudo se sont relayés lors des différents cours qui ont eu lieu les 8, 9 et 10 mai 2009 à l’Institut du Judo à Paris pour célébrer leur « sensei », comme ils ont coutume de l’appeler, et ses 50 années de ceinture noire. 1959-2009.

affiche du jubilé

Un jubilé, comme l’a rappelé Didier Ferrier, c’est d’abord un moment de joie à l’occasion d’un anniversaire. Et test un demi-siècle de vie consacré à la recherche et à la découverte du budo japonais qui fut l’occasion de ce joyeux rassemblement d’aïkibudoka, venus des quatre coins du monde : de France bien sûr, mais surtout de Tchéquie, de Suisse, d’Italie, du Portugal, de Lettonie, d’Ukraine, de Hollande, de Belgique, de Tunisie, du Maroc, de Russie, du Canada et même de Nouvelle- Calédonie !
Trois jours durant lesquels maître Alain Floquet et ses kodansha (les « anciens ») offrirent à tous un moment exceptionnel de pratique, de retrouvailles et de partage.

Alain Floquet et les stagiaires devant le kamiza

Un parcours hors du commun

Le 3 mars 1959, un jeune homme de 19 ans, Alain Floquet, élève de Jim Alcheik, reçoit son 1 er dan d’Aïkido-jujutsu du Yoseikan. Trois ans plus tard, suite à la disparition prématurée et tragique de son professeur, le jeune Alain Floquet, alors plus jeune 2ème dan de France, contacte le maître Minoru Mochizuki pour lui faire part de ses craintes d’explosion du groupe lui faire part de ses craintes d’explosion du groupe qui s’était construit autour de Jim Alcheik. Le maître Mochizuki propose alors la venue de son fils Hiroo pour prolonger durant quelque temps l’Œuvre initiée par Jim Alcheik.
Dès lors, l’Aikido du Yoseikan prend un essor considérable. En parallèle, l’Aikido de l’Aïkikai se développe également en France, notamment sous l’impulsion d’André Nocquet et de jeunes maitres venus du Japon. Ce petit monde se connaît, se côtoie, tente parfois de travailler ensemble malgré les différences et parfois les oppositions. Et parmi eux, le jeune Alain Floquet se distingue déjà par son talent, son charisme et ses qualités humaines. L’un de ses plus anciens élèves, Alain Roinel, aujourd’hui 7e dan, confia un jour qu’à cette époque, il y avait pléthore de jeunes pratiquants passionnés d’arts martiaux, soucieux de se faire une place, d’apprendre, de découvrir et de transmettre. Mais Alain Floquet avait quelque chose de plus, il portait en lui quelque chose d’inexplicable : une espèce de génie.
De même, l’un des anciens de l’Aïkibudo, André Tellier 6e dan, se plaît à raconter que lorsqu’il rencontra le jeune Alain Floquet à la fin des années 1960, il fut totalement subjugué, à l’occasion d’un passage de
grade, par son charisme, sa gentillesse, sa disponibilité et son sens de la pédagogie.
Dans tous les domaines des arts et de la connaissance. il est des individus qui sont doués ; mais il en est d’autres qui vont au-delà même du talent.
Ce sont des créateurs. Alain Floquet est de cette trempe. Dès le début, il exigea de ses pratiquants qu’ils soient des « budoka complets » , s’astreignant lui-même à une pratique quasi quotidienne de l’Aïkido Yoseikan, du Kendo, du Karaté. En 1970, il participa avec brio aux premiers championnats du monde de Kendo à Tokyo.
Grâce à sa rencontre avec le maître Minoru Mochizuki à partir des années 1970 et à la relation quasi filiale qu’ils entretinrent, il se dirigea peu à peu vers le budo traditionnel japonais, le Katori shintô ryu avec maître Sugino Yoshio puis le Daito ryu Aki-jujutsu avec maître Takeda Tokimune.
En parallèle, son expérience de terrain – et de formateur- dans la police lui permit d’avoir une approche pragmatique et réaliste du budo et une connaissance profonde du combat, tant dans sa dimension sportive que dans les situations difficiles ou à risques de sa vie professionnelle.
Ainsi, lorsqu’en 1980 maître Mochizuki demandera à maître Floquet, lors d’un cocktail organisé par l’UNA FFJDA, de renommer la discipline qu’il enseignait et avait fait évoluer, celui-ci choisit le terme d’ « Aïkibudo » art dont l’Aïkido-Jujutsu du Yoseikan est l’élément structurel fondamental. Maître Floquet reçut alors l’accord de tous les présents et surtout de maître Minoru Mochizuki, instant capital puisqu’il confirmait la reconnaissance accordée par le maître et donnait toute légitimité à son art et à son école.
De fait, l’Aïkibudo (tradition et évolution) n’est pas une « synthèse » construite sur un « mélange » de l’ensemble des enseignements dont Alain Floquet
avait bénéficié ; c’est véritablement le fruit d’une expérience multiple, d’une démarche particulière initiée dès 1974 au sein du CERA, dont découla un art spécifique, marqué par l’expérience et la personnalité de son initiateur.
Il y a peu de temps, il indiquait lors d’une interview : « Pour comprendre comment est né l’Aïkibudo, il faut comprendre que c’est l’histoire d’une vie, de circonstances et d’événements. Ce n’est en rien une compilation de différents arts martiaux. »
Lors du jubilé, Alain Floquet a souligné, comme il l’a toujours fait, l’importance de ceux qui l’ont accompagné dans sa démarche : les plus anciens qui diffusèrent son art en France et dans le monde, ceux qui l’accompagnèrent dans la découverte des écoles traditionnelles japonaises, ou encore ceux qui, de façon indispensable, l’aidèrent à faire vivre officiellement et administrativement sa pratique.
II faudrait bien plus que ces quelques pages pour décrire tout ce parcours et cette histoire, mais lorsqu’en 1990, le grand maître Yoshio Sugino lui remit à Bercy, au nom de maître Minoru Mochizuki et de la Fédération Internationale de Nihon Budo, le 8e dan d’Aïkibudo et le titre de hanshi- « homme modèle », c’est le parcours d’un homme exceptionnel et son école qui furent reconnus en tant que tels.

A Floquet et Sakai Kohe

Un art de vie

Le jubilé d’Alain Floquet a donc été l’occasion de marquer ce parcours hors du commun. Pendant trois jours, au sein de l’Institut du Judo, les stages se succédèrent, rassemblant un nombre impressionnant de pratiquants. Parfois l’espace manquait mais tous avaient le sentiment de vivre un moment d’une intensité exceptionnelle. Et chaque fois, le maître se montra  soucieux de rappeler les bases fondamentales de son enseignement. L’Aikibudo est un système cohérent physiquement et physiologiquement. Pas d’opposition, de tension, mais la recherche d’un mouvement réaliste parce qu’obéissant aux lois de la physique et de la mécanique corporelle. L’Aïkibudo est une sorte d’horlogerie et les partenaires fonctionnent comme des rouages qui s’entraînent l’un l’autre. Que ce soit dans la pratique à mains nues ou avec armes, c’est toujours cette cohérence vis-à-vis des lois physiques et physiologiques qui doit guider le pratiquant. Le travail va toujours dans le sens d’une recherche de perfectionnement où la violence et la brutalité s’effacent peu à peu face à la maîtrise des lois naturelles.
Et c’est peut-être là le plus grand génie de l’Aïkibudo ! Aïki et budo, deux termes a priori opposés : aïki, l’union des énergies, la force vitale et créatrice qui génère la vie ; budo, l’art martial, issu de la tradition guerrière dont le but premier était de tuer pour survivre. L’Alkibudo est l’union de deux forces que tout semble opposer. L’art de combat devient un art de paix et canalise nos pulsions premières, parfois destructrices, pour faire un outil de communication, d’échange, de partage et d’amitié.
C’est ce que rappela, non sans émotion, Frédéric, le fils d’Alain Floquet, lors d’une cérémonie officielle regroupant ceux qui, pour la plupart, accompagnent leur « senseï » depuis plus de vingt ans.
Cette cérémonie ou « commémoration martiale » a été officiellement ouverte par MM. Maxime Delhomme, président de la FFAAA, Didier Ferrier, président de la co-discipline Aïkibudo, à l’issue d’un tir cérémonial et traditionnel de Kyudo par maître Michel Martin. ElIe s’est déroulée sous forme d’un bref historique de la vie martiale de maître Floquet, ponctué par de nombreuses démonstrations de budo, aussi exceptionnelles les unes que les autres, sous l’œil vigilant des représentants des fédérations de budo japonais comme le Judo, le Karaté, le Kendo, le Kyudo, l’Aïkido, le Kinomichi. Un grand nombre d’experts tels qu’ André Bourreau et Lionel Grossain, tous deux 9e dan de Judo, maître Noro Masamichi, l’équipe de France de Karaté championne du monde kata 2008, représentant M. Francis Didier, président de la FFKA-MA, Guy Choplain, 6e dan Judo et bien d’autres, entourés de personnalités telles que M. Kobayashi, chef de cabinet de son Excellence l’ambassadeur du Japon, M. Nakagawa Masateru, président de la Maison du Japon, M. Sakai Kohé, magistrat 1er secrétaire de l’Ambassade du Japon, M. Claude Jalbert, fondateur CERA et FFAAA, M. Michel Chauveau, inspecteur Jeunesse & Sport, M. Raymond-Yves Cairaschi, représentant le CDOS, M. Claude Camus, président de I’Association Sportive de la Police de Paris, purent apprécier le portrait de maître Floquet, relaté par son fils Frédéric, qui sut avec humour, rendre cette heure et demie d’histoire on ne peut plus passionnante. Tous purent encore apprécier la magistrale Interprétation à la guitare classique de Sakura par M. Philippe Etienne, yudansha d’Aïkibudo du club de Grigny. La cérémonie fut conclue par un discours (en français !) de M. Prema Svoboda, président tchèque de la FIAB ainsi que d’un très touchant message d’amitié dicté par le cœur d’André Bourreau, ancien directeur de l’Ecole Nationale de Judo de l’INS représentant officiellement M. J.-L. Rougé, président de la fédération de Judo.

Didier Ferrier et Maxime Delhomme

L’Aïkibudo, plus qu’un groupe, une famille

À l’issue de cette cérémonie, plus de 350 personnes se retrouvèrent gaillardement pour fêter l’anniversaire du maître au clubhouse du stade Charléty. Ainsi, autour de grandes tables pleines de victuailles, de cotillons et de larges sourires, se sont retrouvés tous les élèves autour de leur maître, qui allait et venait entre toutes les langues et les cultures. C’est ensuite au premier étage du bâtiment, qu’au travers d’un chemin dessiné par ses élèves, maître Floquet souffla par dessus 18 gâteaux ses 50 bougies d’anniversaire ! Et comment ne pas avoir une pensée émue pour celle qui, depuis 1959, accompagne sans relâche son époux dans cette aventure… et oui, il fut offert à maître Floquet et son épouse un deuxième voyage de noces pour leurs 50 années de mariage!
À l’issue des trois jours, un dernier cours fut proposé pour les hauts gradés. Alain Floquet, visiblement inspiré par ces trois jours festifs, rappela aux anciens le sens de son message : l’amitié, la paix, le partage.
Quel que soit notre grade, il faut toujours pratiquer, chercher et progresser avec humilité : « Nous devons toujours retourner aux bases, aux fondements, à l’essentiel et accepter de redécouvrir, réapprendre chaque chose comme un simple débutant, quel que soit notre niveau ».
Ceux qui ont la chance de côtoyer Alain Floquet d’assez près savent qu’il est un homme simple, avec ses qualités, ses défauts et peut-être même ses failles, mais tellement humain. Rien de son parcours et de son expérience, pourtant exceptionnels, n’a altéré sa simplicité et son humanité, à l’instar de feu maître Takeda Tokimune qui, apprenant que le secrétaire de son dojo avait demandé à Alain Floquet et ses élèves de venir sur le tatami avec une ceinture blanche, arbora lui-même la tenue du débutant, saluant ainsi au même niveau ceux qu’il accueillait chez lui. C’est la même simplicité et la même gentillesse qui transpirent de ces trois jours et on ne peut que remercier son organisatrice Frédérika Plattner et son équipe d’organisateurs, Camille Linglin, Michel Serafin, Frédéric Floquet et Jean-Marc Epelbaum d’avoir orchestré si brillamment l’événement et de nous avoir permis de partager un moment si intense.

Masamichi Noro et son fils Takeharu avec Alain Roinel
Claude Jalbert